Fontenelle, Bernard le Bouyer [Bovier] de an Bernoulli, Johann I (1725.04.22)

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Kurzinformationen zum Brief       mehr ...
Autor Fontenelle, Bernard le Bovier de, 1657-1757
Empfänger Bernoulli, Johann I, 1667-1748
Ort Paris
Datum 1725.04.22
Briefwechsel Bernoulli, Johann I (1667-1748)
Signatur Basel UB, Handschriften. SIGN: L Ia 658, Nr.3*
Fussnote Als Brief gefaltet. Siegelspuren



File icon.gif Monsieur

Je vous envoye la Mechanique de feu M. Varignon.[1] Comme je suis son Legataire à cet égard, je suis sur que je ne puis mieux remplir ses intentions qu'en vous donnant cet ouvrage. Je sai quelle haute estime et quelle vive amitié en méme temps il avoit pour vous, rien n'a meilleure grace entre vous autres grands Hommes.

Je vous fais aussi mes compliments sur le Prix que M.r votre fils vient de remporter chés nous,[2] et je vous prie de trouver bon que je les fasse ici à lui méme. Toute l'Europe sait déja combien il est digne de son nom. Il y a aussi un Exemplaire de la Mechanique pour lui, aussi bien que pour M. Nicolas Bernoulli.

Souffrés, Monsieur, que je prenne cette occasion pour vous demander un conseil qu'il y a longtemps que je differe à vous demander, et que je ne puis mieux demander à personne qu'à vous. Cela sera long, je vous en demande pardon d'avance.

J'ai fait un assés gros Ouvrage, dont le titre est Elements de la Geometrie de l'Infini.[3] Je me flate, car permettés moi de vous parler sincerement, que c'est une espece de Sistéme, non pas Metaphisique, mais Geometrique, assés bien lié de tout ce que vous nous avés découvert sur cette grande matiere. J'en croi l'ordre à peu prés aussi exact qu'il puisse l'étre, et le spectacle assés beau pour un Esprit Mathematicien. Il a falu, ne fust ce que pour la liaison des pierres du Bâtiment, que j'aye meslé un grand nombre de pensées qui n'étoient qu'à moi, avec celles qui vous apartenoient, et dans ce mélange temeraire il y en a une trés paradoxe, et que je vais vous exposer.

Soit , la Suite , , , etc. \ \ \ \ \ \ \ \

Soit , cette Suite quarrée, , , etc. \ \ \ \ \ \ \ \ . File icon.gif La somme de est infinie, et celle de finie, sur quoi je raisonne ainsi. Donc il y a dans une infinité de termes finis, et dans il n'y en a qu'un nombre fini.

et ont le méme nombre infini de termes, puis que tout terme de a son quarré dans . Donc un nombre infini de termes () qui étoient finis dans sont devenus par l'elevation au quarré () infiniment petits dans . Donc un nombre infini de , ou de termes finis de la Suite naturelle 1, 2, 3 etc., deviennent infinis étant quarrés ou . Je sens toute l'horreur du paradoxe, mais il me paroist démontré. Si on ne l'admet pas, je prouve invinciblement que la somme de est infinie aussi bien que celle de , quoi que moindre; car tous les termes finis de sont donc demeurés finis dans , et par consequent a un nombre infini de termes finis.

Remarqués, s'il vous plaist, qu'il n'y a dans que des termes de deux ordres, des finis, et des , et que dans il y a des finis à l'origine, et des infiniment petits du 2.d ordre à l'extremité, puis que le dernier terme en est. Or étant telle qu'elle est ne peut aller du fini à sans passer par . Mais quels sont les de ? ce ne sont pas certainement les de quarrés, car ils donneroient des ; ce sont donc des finis de , des , qui étant sont devenus des , c'est à dire que qui étoit fini est devenu infini étant .

Pour aller un peu plus loin, et jusqu'au Metaphisique, voici ce que je conçoi. La Suite naturelle infinie des Nombres commence par le fini, et se termine par , selon vous, Monsieur, et selon tous les Geometres de l'Infini. Dans quelque endroit de cette Suite il se fait un passage du fini à l'Infini par la seule addition de 1. A la verité ce passage est inconcevable, mais il se fait necessairement, et c'est là le veritable noeud indissoluble de toute l'incomprehensibilité de l'Infini. Je ne prétens pas faire comprendre ce qui se fait là, mais je prends ce qui s'est du faire, et je m'en sers pour faire entendre seulement que de là viennent les changements de sommes infinies de Suites en des sommes finies par de simples elevations des Suites à des puissances finies, comme dans l'exemple proposé, et une infinité d'autres choses dont on voit la source, mon principe posé.

File icon.gif Car ce qu'il y a de bisarre, c'est qu'autant que ce principe est paradoxe et sauvage, autant il est fécond et general, et je vous prie sur ce point seulement de m'en croire à ma parole. Je retrouve cela par tout, et sans l'avoir aucunement cherché, au contraire. J'aurois voulu de tout mon coeur m'en pouvoir passer, j'en connoissois le peril. J'en trouve à chaque moment dans le cours de l'Ouvrage de nouvelles preuves par des analogies, par le Calcul, par la liaison necessaire de ce principe avec toutes les verités connües qui peuvent y avoir rapport. Je ne vous en ai apporté qu'une preuve qui m'a paru suffisante.

Il est bien vrai que dans le Calcul tout fini quarré ou elevé à quelque puissance finie que ce soit demeure fini, la Regle est inviolable. Mais sur quels finis operons nous? sur des finis qui sont à l'origine de nos Suites, quelque prodigieusement grands qu'ils soient, et infiniment prés de cette origine par rapport à l'étendüe des Suites infinies. Nous n'operons, et n'opererons jamais sur les finis qui sont dans le passage que les Suites font du fini à l'Infini, et ce sont ceux là qui sont d'une nature moyenne entre le fini et l'Infini, et qui par l'elevation à quelque puissance finie deviennent Infinis. Ils sont necessaires pour la nuance. Aussi je les appelle des finis indéterminables. Vous en voyés la raison.

Au contraire quand nous operons sur l'Infini, c'est sur un Infini qui termine une Suite infinie croissante, sur un Infini complet, arrivé, pour ainsi dire, à la plenitude de sa nature, infiniment éloigné de tout fini qui étoit vers l'origine de la Suite. Tout fini ne peut que disparoistre devant cet Infini, et cet Infini ne peut que s'elever d'ordre en s'élevant de puissance.

Ainsi nous ne tenons jamais que les deux bouts d'une Suite infinie, quelques finis de l'origine, l'Infini de l'extremité, et nos regles de Calcul à l'égard de ces deux sortes de grandeurs sont trés bien fondées et invariables. Mais tout le milieu infini de la Suite nous échape, nous n'y calculons rien, ce qui n'empéche pas que nous n'en devions prendre d'autres idées que des deux bouts que nous connoissons. Il me semble qu'on y est forcé, du moins a posteriori.

Nos Geometres d'ici attachés avec raison aux idées établies ont tous commencé File icon.gif par se revolter contre les finis indéterminables qui devenoient infinis par l'elevation à quelque puissance finie. Quelques uns à la fin se sont rendus, d'autres sont toujours choqués du paradoxe, mais sans répondre à mes raisons, et sans me faire voir d'où vient mon erreur.

C'est à vous, Monsieur, que je m'adresse comme à un Juge souverain. Les raisonnements que je vous ai faits, sont ils faux? s'ils le sont, je vous supplie très humblement de me redresser, je me rendrai certainement avec toute la soumission que le moindre de tous les Geometres doit au plus grand. Vous ne vous engagerés point dans une dispute, la soutiendrois je contre vous?

Si par bonheur mes raisonnements vous persuadoient, il me reste à vous demander un conseil que je vous prie de me donner avec bonté. Imprimerai je un Ouvrage, qui outre bien des défauts qu'il peut avoir, et dont il ne s'agit pas ici, aura du moins celui de poser ces finis indéterminables, qui, dussent ils à la fin étre reçûs, commenceront par revolter? ils revolteront d'autant plus surement que je n'ai, ni ne dois avoir aucune autorité en Geometrie, et qu'on aura assés de raison de rejetter sans beaucoup d'examen une idée bisarre en apparence, qui ne vient que de moi. Je vous proteste très sincerement que je n'ai nulle ardeur pour l'impression, et que je m'en passerai avec la derniere facilité.

Je vous demande en grace, Monsieur, de me faire l'honneur de me répondre sur tout cela bien positivement. Le caractere dont je vous connois m'a enhardi à vous importuner. Si vous ne voulés pas que votre lettre soit veüe de personne, vous n'aurés qu'à me le défendre, vous serés obeï ponctuellement.

C'est M. Broukner de votre ville de Basle qui vous remettra les trois Exemplaires de la Mechanique. Il retourne à Basle aprés avoir montré ici un Globe terrestre de sa façon en cuivre, dont l'Academie a fort loué l'exactitude. Je suis avec un extréme respect Monsieur Votre trés humble et trés obeïssant Serviteur Fontenelle

de Paris ce 22 Avril 1725


Fussnoten

  1. [Text folgt]
  2. [Text folgt]
  3. [Text folgt]


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